L’intégralité du texte du projet, sur lequel le secret a été maintenu depuis le début, n’est toujours pas publié alors que le résultat est maintenant public. Des versions originales ou apocryphes de ce texte circulent. Vous trouverez ci-dessous l'analyse - inquiétante pour notre université - qui peut en être faite. Le SNESUP et la CGT demandent aux promoteurs du projet comme à ceux qui se félicitent aujourd'hui de sa sélection de confirmer l'exactitude de ces textes ou, s'ils s'avèrent être des faux, de communiquer le dossier à l'ensemble des personnels et étudiants.

Notons tout d’abord que le périmètre de l’I-SITE est très restreint puisqu’il concerne moins d’un quart des chercheurs:

« Sur un total de 2 330 chercheurs, le périmètre d’excellence sous-tendant les priorités est défini par environ 550 chercheurs issus des équipes les plus prestigieuses des laboratoires notées A et A+. »
(page 8 de la version française)

Ces heureux bénéficiaires rafleront quasiment tout:

« Le projet prévoit d’allouer plus de 75% des ressources PIA à ce cœur d’excellence. Une proportion du budget d’environ 20% sera consacrée: (1) aux projets interdisciplinaires permettant de réorienter les personnels enseignants-recherche vers ou au sein des domaines prioritaires ; (2) au rapprochement des autres domaines scientifiques à la dynamique des domaines prioritaires. »
(page 36)

Les « pauvres », ceux qui ont été écartés (les 75% non retenus), devront faire des sacrifices pour que les riches le soient encore plus:

« Le coût total du projet sur 4 ans s’élève à env. 162 M€ dont env. 42 M€ sont sollicités au titre du financement PIA. Environ 120 M€ sont assurés par les partenaires du consortium. »
(page 9)

y compris en leur redéployant des postes:

« Redirection de 10% des postes d’enseignants-chercheurs vacants vers les domaines prioritaires. »
(page 9)

On pourrait penser que les « élus » auront les moyens de faire leur recherche. Mais ils seront pour la plupart extrêmement encadrés par des chercheurs seniors:

« Fournir un portefeuille à des chercheurs seniors d’UBFC, afin d’encourager la réaffectation de ressources humaines d’UBFC aux domaines prioritaires, aux conditions suivantes:
  • réorientation d’une équipe de recherche d’UBFC vers un nouveau projet en phase avec un des trois domaines prioritaires d’UBFC ;
  • engagement des membres de ladite équipe d’UBFC à abandonner leurs anciens objectifs de recherche, à définir de nouveaux objectifs à l’aulne du nouveau projet, et à accepter le chercheur senior bénéficiaire de la subvention d’UBFC en tant que porteur du projet. La réalité de cet engagement fera l’objet d’un suivi rigoureux de la part de l’EGS et constituera le principal critère d’acceptation ou de refus de la reconduite du projet au 18ème mois de celui-ci. »
(page 45)

Mais, même dans le périmètre, les chercheurs susceptibles d’assurer cette fonction ne sont pas nombreux, et il faut aller les chercher ailleurs:

« Cette stratégie sera associée à un changement de paradigme de la gestion des ressources humaines, avec un montage d’équipes de 3-4 personnels, chacune conduite par un professeur recruté extérieurement. »
(page 9)

On engagera même des « chasseurs de têtes » pour trouver et faire venir les « excellents » et constituer les équipes:

« Fellowships seniors internationaux. Ils auront pour but de permettre l’accompagnement du recrutement d’un professeur de première classe moyennant des conditions de départs attrayantes, et d’assurer le rattachement d’éventuels futurs postes de maîtres de conférence au projet. »
(page 44)

quitte, pour ça, à essayer de changer les règles du recrutement dans le service public:

« l’I-SITE BFC envisage de financer une évaluation de l’impact des règles de recrutement sur la compétitivité des universités françaises, et de proposer des mesures correctives au ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et aux parlementaires. »
(page 28)

Enfin, nos équipes de recherche, pourtant excellentes, ne semblent pas l’être suffisamment puisqu’il faudra qu’elles soient guidées de l’extérieur:

« Fellowships pour coach internationaux. (…) L’idée est que la recherche d’UBFC puisse bénéficier des conseils opérationnels (coaching) de chercheurs de renommée internationale. Un portefeuille sera octroyé à un chercheur étranger jouissant d’une haute renommée dans son domaine de recherche pour encadrer des projets qu’une équipe d’UBFC existante sera chargé de mettre en œuvre. (…) Les membres de ladite équipe d’UBFC s’engagent à réviser leurs objectifs à lumière du projet de l’accompagnant invité et à accepter que celui-ci soit le porteur du projet. »
(page 44)

Comme on le voit, les chercheurs qui sont hors du périmètre vont décliner rapidement puisqu’ils vont être privés de moyens et ceux qui sont dans le périmètre vont devenir les opérateurs de sommités nationales ou internationales qui seront mille fois mieux traitées qu’eux.

On pourrait se contenter de critiquer le projet dans sa forme et essayer de le corriger, l’amender, le réformer en disant qu’il aurait suffi de mieux répartir les moyens, de respecter les dignités des uns et des autres, de valoriser nos forces, d’avoir une conception de la recherche moins hiérarchisée…, ce que ne manqueront pas de faire les tenants de l’autre liste personnalisée (Chevalier). Notons que c’est ce que disaient les Bonnin, Dereux, Vinter… avant qu’on ait accès au document qu’ils ont produit.

En fait, c’est justement parce qu’il est ce qu’il est que ce projet est passé. C’est le pire (de notre point de vue) qui est retenu parce que c’est ce qui correspond le mieux à la logique de l’excellence: concentrer les moyens sur un tout petit nombre pour transformer la grande majorité de l’Enseignement Supérieur en collège universitaire.

L’opération I-SITE aura permis de laisser une dizaine d’universités sur la voie de la « collégialisation » en leur en faisant porter la responsabilité: « c’est parce vous êtes moins bons que vous avez perdu » (alors que c’est parce que leur projet n’allait pas assez loin dans le sens attendu, qu’il n’était pas assez excluant). Dans les deux universités qui ont « gagné », l’opération aura accéléré la pente descendante pour la majorité que constituent les exclus et asservi la recherche à un modèle « privé » dans les quelques domaines privilégiés (si on peut dire).

Les listes Résister, Rassembler, Reconstruire: Pour une université de service public, solidaire et démocratique portent des propositions à l'opposé de celles incarnées par l'I-SITE.