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Le 5 septembre 2019, l'université de Bourgogne accueillait la désormais traditionnelle université d'été du MEDEF 21, avec la classe habituelle : privatisation des locaux, subvention de 10000 €, accueil par des hôtesses précaires et sous-payées, publicités pour des voitures…
Afin sans doute de contrebalancer le côté très « salon de l’automobile » et fort peu universitaire de ces rencontres, le président du MEDEF 21 les présente comme une occasion de « balayer les idées reçues, de prendre de la hauteur, d'apporter des solutions, d'éviter les "déjà vu" ». Des propos convenus qui contrastent avec le cynisme dans le choix du thème de cette année, affiché en grosses lettres à l'entrée et sur le petit livret distribué aux participants : « Open bar. En route vers un monde sans limite ». Nous sommes nombreux à avoir été heurtés par cet intitulé caricatural et provocateur, à l'heure où les crises sociales et écologiques apparaissent désormais au grand jour. Se proposer d’inventer un monde « sans limite » alors que partout les limites sociales, physiques et biologiques du modèle de croissance dominant sont franchies, aboutissant à une succession continue de crises et de conflits… voilà qui relève d’un sens de l’à-propos assez désastreux.
Nous avons donc décidé d'aller y voir de plus près, afin de tenter de savoir comment les participants comprenaient le thème de la journée. Précisons que, malgré l'annonce "Open bar", l’entrée était payante (84 €). Faute de carton d’invitation, nous avons donc dû nous contenter de questionner un panel de participants à l’entrée des barnums.
Certains ont vu dans le titre choisi une "provocation" salutaire à l'heure des discours écologiques catastrophistes, d'autres ont considéré qu'il s'agissait d'un simple slogan. Il faut croire que pour ceux-ci, les mots n’ont pas d’importance. D’autres encore ont estimé qu'il fallait sortir des "règles" censées freiner nos actions pour laisser libre court à la créativité entrepreneuriale. Apparemment pour ceux-là, les antiennes néolibérales rabâchées depuis 40 ans ne sont pas des idées reçues ou du déjà-vu qu’il faudrait balayer. Amenés sur le terrain des faits scientifiques comme les limites matérielles (ressources naturelles, espace disponible) ou humaines (capacités cognitives, mortalité), la plupart ont botté en touche en disant que l’absence de limite devait se comprendre comme une référence aux technologies de l’information et de la communication, comme si « l’immatériel » ne reposait pas sur une infrastructure matérielle (serveurs, objets connectés…). Enfin, un adhérent du MEDEF manifestement versé dans la métaphysique nous a déclaré sans sourciller que l’approche scientifique posait des « bornes » à l’esprit, qu’on « ne [savait] pas tout », et que la matière noire et les théories en « neurosciences » d’Idriss Aberkane étaient bien la preuve que tout était possible1.
A l’intérieur, un concours appelé « les Pitchs » était organisé afin de récompenser un "projet innovant". Parmi les candidats on pouvait ainsi entendre le PDG de la start up Avioneo qui propose de développer les "projets de taxis volants partagés, sobres et efficients". A coup sûr, de telles « solutions » augurent de réponses à la hauteur des crises qui nous assaillent ! Parallèlement avait lieu une série de conférences. Une seule scientifique — caution académique de ce rassemblement présenté comme une « université d'été » — était présente pour échanger avec les patrons : une spécialiste de génétique venue expliquer qu'il n'y a pas de limites génétiques. De là à en conclure qu’on vit dans un monde sans limite tout court, il n’y a qu’un pas que le MEDEF franchit allègrement.
A l'heure où les rapports scientifiques sur l'effondrement de la biodiversité, le changement climatique, les coûts sociaux et environnementaux de l'extraction de ressources apparaissent si manifestement au cœur des enjeux du présent, les chefs d’entreprise du MEDEF choisissent encore de nier la réalité. Au lieu de repenser réellement le monde productif et consumériste qui nous conduit si manifestement à la catastrophe, ils restent campés sur leur vision du monde hors-sol. Enfermés dans leur petit cocon d'autosatisfaction, ils préparent les catastrophes à venir avec la bonne conscience de ceux qui se sentent dominants et dans le sens de l'histoire.
Qu'une université valide et accueille une telle conception du monde et de tels projets, sans réflexivité, sans interrogation, sans perspectives critiques — autant d'éléments qui devraient constituer le cœur de nos missions — est sans doute le signe le plus tangible de l’impasse à laquelle nous conduisent les réformes successives de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il est temps de changer de trajectoire.