Les réformes menées tambour battant depuis le début des années 2000 dans l’Enseignement Supérieur et la recherche (ESR) ont profondément transformé les conditions d’élaboration et de diffusion des savoirs. Sur le plan des conditions de travail, elles ont pour principales conséquences la mise en concurrence généralisée des structures, des équipes de recherches et de leurs membres, pouvant aussi conduire parfois à une ostracisation des collègues n’obtenant pas de financements sur projets. Ces dernières réformes ont également entraîné une perte de sens liée à l’énergie et au temps toujours croissants consacrés à la recherche de financements. Les appels à projets génèrent un gaspillage de temps énorme, et au-delà du coût, la destructuration de l’organisation du travail, le stress et les souffrances qu’ils impliquent ont à la fois un coût financier et humain dont on n’appréhende pas suffisamment l’ampleur. Le rapport Gillet, rendu à la Ministre en juin 2023 continue dans cette même voie en proposant que les organismes nationaux se transforment en agences de programme, en confiant la gestion des programmes à l’Agence Nationale de la Recherche.

Rompre avec la concurrence généralisée

Autre facteur de perte de sens, il faut maintenant composer avec les nombreux desiderata des financeurs sous forme de commandes : travailler sur des thématiques répondant en priorité à des intérêts économiques et suivant les percepts et modèles managériaux; démontrer et mesurer « l’impact », le caractère « innovant » et « l’excellence » des recherches proposées en réponse aux appels à projets; planifier son travail au jour près, communiquer sur les réseaux sociaux... Ces injonctions visent avant tout à s’assurer que la recherche est à la fois rentable et communicante. Elles traduisent la volonté des élites politiques et économiques de faire rentrer la connaissance, et donc l’ESR, dans l’économie de marché. De grands groupes sont ainsi invités à définir des priorités de recherche via des chaires. Parallèlement, on assiste à la marginalisation de disciplines entières, principalement les sciences humaines et sociales (SHS), mais aussi certaines langues, la littérature..., globalement tout ce qui n’est pas immédiatement utile au marché.

A rebours de cette conception utilitariste et mercantile des finalités de nos métiers, la FSU et la CGT défendent l’idée que les savoirs issus de la recherche sont pluriels : ils ne sont pas réductibles à de simples moyens de générer de l’activité économique et des profits, et doivent être consacrés pour ce qu’ils sont et ce qu’ils représentent pour la société et aussi pouvoir être mobilisés de différentes manières et en vue de différentes finalités. A rebours du dogme du nécessaire rapprochement avec les entreprises, nous réaffirmons que le secteur de l’ESR doit faire partie des services publics — afin justement de garantir cette pluralité des savoirs, un service public financé à la hauteur de ses missions.

Face aux urgences du présent

Les pouvoirs publics et économiques en appellent toujours plus à la recherche et aux chercheuses et chercheurs pour résoudre les multiples crises qui assaillent notre monde, qu’elles soient sociales, sanitaires ou écologiques. Cependant, l’ancienne confiance naïve dans la science s’est fissurée et les collègues eux-mêmes s’interrogent sur leur rôle social, sur le sens de leur mission et les finalités de leurs projets. L’avenir autrefois perçu avec confiance semble à présent s’obscurcir, ouvrant de multiples débats sur la place de la recherche et des sciences dans nos sociétés.

Face aux menaces à court terme qui pèsent désormais sur l’humanité, beaucoup d’entre nous ressentent la nécessité de partager et d’utiliser les savoirs pour tenter de modifier la trajectoire actuelle, que tous les indicateurs annoncent désastreuse. Mais beaucoup se sentent également impuissants face à la complexité de phénomènes et d’enjeux qui dépassent très largement chacune de nos disciplines.

Car comment être à la hauteur de ces grands enjeux, notamment environnementaux, si celles et ceux qui sont chargés de comprendre et penser le monde sont sans cesse absorbés par le millefeuille administratif engendré par la bureaucratie managériale, par des appels à projets et des tâches inutiles ? Comment être à la hauteur de ces enjeux si nos pratiques professionnelles quotidiennes — qu’il s’agisse des transports aériens, des technologies de l’information, ou simplement de nos modes d’alimentation sur le campus — nous en éloignent sans cesse ? Surtout, comment être à la hauteur de ces enjeux si nous ne nous libérons pas des illusions de la technologie salvatrice (notamment en matière de numérique) et des méga-universités compétitives sur la scène internationale ?

Face aux urgences du présent, changer de trajectoire (et donc de politique) à toutes les échelles relève donc d’une impérative nécessité.

Au niveau local

Au niveau local, comme au niveau national, la multiplication des guichets ne fonctionnant que par appels à projets représente le plus sérieux obstacle à la mise en place d’une autre politique d’établissement. Nous devons tirer tous les enseignements de l’expérience de l’ISITE et de la COMUE. La nouvelle donne avec la sortie de l’uB de la COMUE et la création de l’Établissement Public Expérimental doivent inciter à la tenue de vrais débats sur les choix stratégiques en matière de recherche.

En effet, il convient de ne pas reproduire les erreurs accumulées depuis plus de 10 ans et qui auront conduit, pour la recherche, à de profonds changements institutionnels, eux-mêmes lourds de conséquences sur le statut des personnels. La lourdeur des structures technocratiques constituait de véritables freins aux initiatives, tant collectives que personnelles, et une perte de temps pour tous les acteurs et toutes les actrices de la recherche. Il convient donc de peser en matière de recherche, grâce à nos élu·es, en insistant sur le fonctionnement démocratique, la proximité avec les usagers, et en ne laissant aucun secteur scientifique sur le bord de la route.

De surcroît, une vigilance sera nécessaire avec l’incorporation dans cet EPE d’établissements privés, sur la spécificité des financements publics, leur répartition équitable et la délivrance de diplômes, en particulier le doctorat, conduisant à une concurrence déloyale entre Universités et établissements privés.

Nous nous engageons à:

    • Rééquilibrer la distribution des financements en mettant fin à la politique de concentration des moyens sur une minorité ou sur des thématiques priorisées et favorisées par l’EPE ou les PIA ;
    • Défendre l’idée de rendre du temps et de l’indépendance aux personnels de la recherche publique ;
    • Défendre, à la Commission Recherche et au Conseil académique, la transparence et l’équité s’agissant des « avancements locaux » et attributions de primes RIPEC ;
    • Être attentive/attentif aux mal-être des personnels quel que soit leur statut dans les laboratoires, les accompagner et les soutenir dans le cadre de procédures de conciliation équitables.

Listes soutenues par SNESUP-FSU, FERCSUP-CGT, Sud-Education
SNESUP-FSU FERC-Sup CGT Sud-Education