Les réformes menées tambour battant depuis le début des années 2000 dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) ont profondément transformé les conditions d’élaboration et de diffusion des savoirs. Sur le plan des conditions de travail, elles ont pour principales conséquences la mise en concurrence généralisée des structures, des équipes de recherches et de leurs membres, pouvant aussi conduire parfois à une ostracisation des collègues n’obtenant pas de financements sur projets. Ces dernières réformes ont également entraîné une perte de sens liée à l’énergie et au temps toujours croissants consacrés à la recherche de financements.

Les appels à projets génèrent un gaspillage de temps énorme, et au-delà du coût, la destructuration de l’organisation du travail, le stress et les souffrances qu’ils impliquent ont à la fois un coût financier et humain dont on n’appréhende pas suffisamment l’ampleur. Le rapport Gillet, rendu à la Ministre en juin 2023, continue dans cette même voie en proposant que les organismes nationaux se transforment en agences de programme, en confiant la gestion des programmes à l’Agence Nationale de la Recherche.

Dans le même esprit, le projet de contrat d’objectifs 2024-2028 du CNRS prévoit de concentrer les moyens sur 25 % des laboratoires dits « key-labs », jugés « de rang mondial », pour une durée de cinq ans. Cette stratégie, annoncée sans concertation avec les universités, sacrifierait 75 % des unités restantes, représentant 54 % des personnels CNRS, en les privant des ressources nécessaires, notamment en ingénieurs, techniciens et administratifs. La sélection des « key-labs » se ferait de manière opaque, marginalisant l’évaluation par les pairs et les instances scientifiques. Ce plan vise également à réduire le nombre total de laboratoires du CNRS à long terme, aggravant les inégalités entre unités. Cette vision technocratique, axée sur la compétition et la reconnaissance internationale, menace la coopération historique entre le CNRS et les universités, s’opposant à la volonté des personnels et des directeurs d’unités.

Autre facteur de perte de sens, il faut maintenant composer avec les nombreux desiderata des financeurs sous forme de commandes : travailler sur des thématiques répondant en priorité à des intérêts économiques et suivant les préceptes et modèles managériaux ; démontrer et mesurer « l’impact », le caractère « disruptif et innovant » et « l’excellence » des recherches proposées en réponse aux appels à projets ; planifier son travail au jour près, communiquer sur les réseaux sociaux... Ces injonctions visent avant tout à s’assurer que la recherche est à la fois rentable et communicante. Elles traduisent la volonté des élites politiques et économiques de faire disparaître la connaissance, et donc l’ESR, dans l’économie de marché. De grands groupes sont ainsi invités à définir des priorités de recherche via des chaires. Parallèlement, on assiste à la marginalisation de disciplines entières, principalement les sciences humaines et sociales (SHS), mais aussi certaines langues, la littérature..., globalement tout ce qui n’est pas immédiatement utile au marché.

À rebours de cette conception utilitariste et mercantile des finalités de nos métiers, nous défendons l’idée que les savoirs issus de la recherche sont pluriels : ils ne sont pas réductibles à de simples moyens de générer de l’activité économique et des profits. Ils doivent être consacrés à ce qu’ils sont et ce qu’ils représentent pour la société et aussi pouvoir être mobilisés de différentes manières et en vue de différentes finalités. Contre le dogme du nécessaire rapprochement avec les entreprises, nous réaffirmons que le secteur de l’ESR doit faire partie des services publics —  afin justement de garantir cette pluralité des savoirs, un service public financé à la hauteur de ses missions.

Face aux urgences du présent

Face aux menaces à court terme qui pèsent désormais sur l’humanité, beaucoup d’entre nous ressentent la nécessité de partager et d’utiliser les savoirs pour tenter de modifier la trajectoire actuelle, que tous les indicateurs annoncent désastreuse. Mais beaucoup se sentent également impuissants face à la complexité de phénomènes et d’enjeux qui dépassent très largement chacune de nos disciplines.

Car comment être à la hauteur de ces grands enjeux, notamment environnementaux, si celles et ceux qui sont chargé·es de comprendre et penser le monde sont sans cesse absorbé·es par le mille-feuille administratif engendré par la bureaucratie managériale, par des appels à projets et des tâches inutiles ? Comment être à la hauteur de ces enjeux si nos pratiques professionnelles quotidiennes — qu’il s’agisse des transports aériens, des technologies de l’information, etc. — nous en éloignent sans cesse ? Surtout, comment être à la hauteur de ces enjeux si nous ne nous libérons pas des illusions de la technologie salvatrice (notamment en matière de numérique) et des méga-universités compétitives sur la scène internationale ?

Par ailleurs, les pouvoirs publics et économiques en appellent toujours plus à la recherche et aux chercheuses et chercheurs pour résoudre les multiples crises qui assaillent notre monde, qu’elles soient sociales, sanitaires ou écologiques. Cependant, l’ancienne confiance naïve dans la science s’est fissurée et les collègues eux-mêmes s’interrogent sur leur rôle social, sur le sens de leur mission et les finalités de leurs projets. L’avenir autrefois perçu avec confiance semble à présent s’obscurcir, ouvrant de multiples débats sur la place de la recherche et des sciences dans nos sociétés.

Face aux urgences du présent, changer de trajectoire (et donc de politique) à toutes les échelles relève donc d’une impérative nécessité.

Au niveau local

Au niveau local, comme au niveau national, la réduction du financement de la recherche au seul mode d’appels à projets représente un sérieux obstacle à la mise en place d’une autre politique d’établissement. Nous devons tirer tous les enseignements de l’expérience de l’ISITE et de la COMUE. L’UBE ne doit pas produire les mêmes tares ; il conviendra de respecter les volontés des établissements et des composantes membres, et de travailler dans le respect des différences sans aucune volonté hégémonique. Les profonds changements institutionnels induits par les transformations successives sont eux-mêmes lourds de conséquences sur le statut des personnels. La lourdeur des structures technocratiques constitue un véritable frein aux initiatives, tant collectives que personnelles, et une perte de temps pour tous les acteurs et toutes les actrices de la recherche. Nos élu·es dans le nouvel établissement (UBE), insisteront sur l’importance du fonctionnement démocratique, de la proximité avec les usagers, et ne laisseront aucun des secteurs scientifiques sur le bord de la route.

De surcroît, nous serons vigilant·es sur la spécificité des financements publics, leur répartition équitable et sur la délivrance de diplômes, en particulier le doctorat. L’incorporation dans cet EPE d’établissements privés ne doit pas conduire à une concurrence déloyale entre universités et établissements privés, qui ne pourrait être que néfaste à notre communauté universitaire.

Nous nous engageons à:

    • défendre la liberté académique et l’octroi aux personnels des moyens et des conditions de mener des travaux sans pression de rentabilité immédiate ; une attention particulière sera attirée sur les relations avec la région BFC et Dijon Métropole, financeurs « historiques » ;
    • défendre l’indépendance de la recherche en renforçant les budgets récurrents pour les équipes (meilleure utilisation des préciputs) ;
    • lutter pour rendre le temps de recherche qui est sacrifié dans des tâches administratives (meilleure reconnaissance des responsabilités, décharges, création de postes support, etc.) ;
    • rééquilibrer la distribution des financements en mettant fin à la politique de concentration des moyens sur une minorité ou sur des thématiques priorisées et favorisées par l’EPE ou les PIA ;
    • défendre, à la CR et au CAC, la transparence et l’équité s’agissant des « avancements locaux » et attributions de primes RIPEC ;
    • être attentives et attentifs au mal-être des personnels quel que soit leur statut dans les laboratoires, les accompagner et les soutenir dans le cadre de procédures de conciliation équitables.

Listes soutenues par SNESUP-FSU, FERCSUP-CGT, Sud-Education, Sud-Recherche
SNESUP-FSU FERC-Sup CGT Sud-Education Sud-Recherche